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Читаю литературу и поэзию на французском языке.
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2022-06-20 21:55:01
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2022-06-20 21:55:01 « [lettre]
Monsieur le chef de la gare de l’Est,
Les travaux de rénovation de votre gare sont achevés, et je vous en félicite. Néanmoins, je serais heureux de pouvoir m’y asseoir quelques minutes. Vous avez très parcimonieusement distribué les sièges dans le grand hall d’entrée. Une quarantaine de petites banquettes anti-pauvres (séparées par des accoudoirs), et anti-feignasses (sans dossiers), et en rangs d’oignons, comme au cinéma. On ne s’y attarde pas. Aujourd’hui, j’ai dû attendre qu’une place se libère. J’ai pu constater que ce hall, autrefois magnifique dans sa vaste nudité, avait été proprement transformé en galerie marchande. Vous y avez laissé planter quatre magasins, dont un chocolatier et un “Body shop” — quel nom atroce. Je regrette beaucoup le grand hall d’avant, qui ne vous avait rien fait, et se trouve aujourd’hui massacré comme un visage par des verrues, d’autant que le premier sous-sol était déjà entièrement consacré à de nombreuses boutiques. Je ne sais pas vous, mais moi j’aime qu’une gare soit une gare. Certes, il est bon qu’on puisse s’y restaurer, ou y acheter ce dont on a besoin pour voyager : des journaux, des livres. Mais des chemises ou des cravates, non. Cela procède d’une mode assez pénible, à laquelle vous avez sacrifié : celle qui consiste à transformer les lieux en ce qu’ils ne sont pas, et plus généralement à convertir tout lieu public en centre commercial.
J’aime aussi savoir l’heure qu’il est. De là où j’étais, assis sur vos machins anti-tout le monde, ces boutiques, horreurs cubiques et trop vite édifiées, ne me laissaient voir aucune horloge. Dans une gare je veux voir des horloges partout. Celles de la salle des pas perdus, au nombre de deux, sont elles-mêmes masquées par de grandes toiles publicitaires pendues à intervalles réguliers, et par les panneaux indiquant les départs et les arrivées des trains, qui étaient bien placés en tête des quais, mais sont accrochés aujourd’hui dans le mauvais sens : lorsque vous arrivez et cherchez le vôtre, vous les voyez de profil. Ils étaient immenses, autrefois. Ce ne sont plus que de petits écrans vidéo, comme dans les aéroports que vous avez cherché à imiter.
Quand on veut quitter la gare pour prendre le métro, il faut descendre. Dans votre grande sagesse, vous avez doublé les escaliers mécaniques ; mais chaque paire va dans le même sens ! Par un fait exprès, comme la tartine tombe du côté de la confiture, on se trouve toujours face à ceux qui montent quand on veut descendre, et il faut faire des tours et des détours pour trouver les autres.
Enfin, il y a encore des trains qui partent de votre gare, c’est toujours cela de pris. Un jour, je vous parlerai des trains de banlieue : je vous dirai les contrôleurs qui vous réveillent pour voir votre billet — alors que vous l’avez passé dans une machine pour entrer, et que vous le passerez dans une autre pour sortir, ce qui fait six contrôles par aller-retour ; je vous raconterai les wagons glacés en hiver, et d’une telle chaleur en été que les voyageurs fondent sans pourtant lever un doigt ; je vous montrerai les fenêtres des étages supérieurs des wagons à deux niveaux, qui vous interdisent de caler vos épaules parce qu’elles sont inclinées vers l’intérieur. Je vous décrirai les grilles en tout genre que vos collègues ont plantées systématiquement entre les sorties de gare et les parcs de stationnement, en sorte que, soir après soir, on doit les contourner. Vous me direz que cela n’est pas de votre ressort, vous aurez raison. Mais pourquoi votre société ne peut-elle comprendre qu’un voyageur a des épaules pour tenir ses bras, des yeux pour lire l’heure, des fesses pour s’asseoir, qu’il a envie de rentrer chez lui au plus vite, et enfin qu’il aime les halls de gare qui ont l’air de halls de gare ?
Veuillez agréer… »

Jacques Drillon, Cadence.
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2022-06-19 23:18:10
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2022-06-19 23:18:10 « – Votre père était-il allemand ?
– Oh oui ! très... très prussien. Il se sentait totalement allemand et rien d’autre. Ses parents et ses grands-parents, dont des portraits ornaient les murs, à la maison, et dont la perte m’a beaucoup peiné, étaient également allemands, mais d’une région située encore un peu plus à l’est, cependant. Les parents de ma mère aussi étaient allemands, mais ils se souvenaient encore de la façon dont leurs propres parents avaient vécu en Pologne.

La vie culturelle de Breslau était-elle active, était-ce une ville vivante ?
– Une ville vivante ? Certainement. La vie culturelle y était très active, mais je la connaissais surtout à travers la bonne société juive. Je veux dire par là que les juifs constituaient une couche autonome et structurée de la bourgeoisie où, l’hiver, on allait tout naturellement à ce que l’on appelait les ‹ concerts d’orchestre ›. Ma mère s’y abonnait chaque hiver ; elle allait aussi au théâtre Lobe. C’étaient des choses que l’on se devait de faire. Pour ce qui me concerne, cependant, je devais n’avoir qu’une seule idée : sortir de là aussi vite que possible.

Pourquoi ?
– Je... je n’arrive pas vraiment à m’en souvenir. Avec mon vocabulaire d’aujourd’hui, je dirais que je trouvais l’ambiance trop bourgeoise ; mais je n’aurais pas dit cela ainsi, à cette époque. Voyez-vous, ma mère avait son cercle d’amies, toutes issues du même milieu, qui venaient chaque semaine. Beaucoup d’entre elles étaient plus riches que nous. Et puis, il y avait mes tantes – ce n’était pas ma tasse de thé. Mais je n’aurais pas utilisé le terme « bourgeois », car je n’avais pas d’opinions politiques.

Le terme « bourgeois » peut également avoir une signification émotionnelle. Cet univers était-il trop étriqué pour vous ?
– J’ai vaguement le sentiment qu’il était inférieur à mon niveau, à mon niveau intellectuel.

Quand ce sentiment s’est-il développé chez vous ?
– Cela a dû se produire très tôt. Je crois que je me suis rendu compte très tôt que les choses que racontaient mes tantes n’étaient qu’un vulgaire bavardage.

Et les amis de votre père ?
– Mon père n’avait pas d’amis. Il se réalisait avant tout dans son travail. A cinquante ans, il abandonna les affaires ; il avait assez d’argent et se consacra par la suite à des fonctions honorifiques. Je ne lui ai connu qu’un seul ami, un avocat. Toutes les relations sociales passaient par ma mère.

Était-il trop occupé pour cela ?
– Je crois qu’il avait aussi atteint un haut degré de sublimation, de sublimation dans le travail. Et lorsqu’il se retira des affaires, il avait encore des immeubles à gérer, en dehors de ses activités honorifiques. C’était très important pour lui, et sa famille aussi, bien sûr, ma mère et moi. »


Norbert Elias par lui-même, 1990. Traduit de l'allemand par Jean-Claude Capèle.
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2022-06-12 22:42:21
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2022-06-12 22:42:21 « Dès lors, les Imbus disposaient du moyen de maîtrise totale des populations dont ils rêvaient, grâce auquel ils allaient pouvoir maximiser leurs profits comme jamais. Prostrés dans leurs cocons, privés de la faculté de chasser en meute qui jadis les rendait si redoutables, les loups affamés s'étaient mués en brebis offertes à la tonte... Entre ces êtres déracinés, désolidarisés, réduits par force à l'abject souci d'eux-mêmes allait pouvoir s'instaurer un marché planétaire, où chacun se battrait pour sauver sa peau, mais où seuls les sponsors ramasseraient la mise. Webjobs était la pièce centrale de ce dispositif...

« À cette époque, en effet, Webjobs ne produisait pas comme aujourd'hui des offres bidon, mais des candidatures fantômes. Les demandeurs d'emploi réels y étaient opposés à des concurrents virtuels. Les Imbus avaient imaginé ce stratagème pour maintenir une pression artificielle sur les rémunérations des rares travailleurs qualifiés survivants, en leur faisant croire à une compétition qui n'existait plus. Avant-peste, cette pression était exercée par les chômeurs engorgeant les agences de placement, qui par leur masse contribuaient à contenir les salaires... Mais en créant une pénurie de main d'œuvre, la Peste risquait d'inverser ce rapport de force au détriment des employeurs. »


Jean-Michel Truong, Le Successeur de pierre, 1999.
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2022-06-12 22:42:21 Le ton était à présent déterminé, volontaire.
– Tout débuta avec la Peste. Pour le commun des mortels, une tragédie humanitaire sans précédent. Mais pour les Imbus, une chance inespérée de réaliser leur vieux rêve : celui d'une économie parfaitement rationnelle, débarrassée de toute scorie, exclusivement dévolue à la satisfactions de leurs besoins.

« Les sociétés d'avant-peste ployaient sous le fardeau croissant de leurs pauvres, bouches inutiles criant famine au seuil des beaux quartiers, continents d'enfants faméliques crevant, des mouches pleines la gueule, à deux heures de vol des nantis. La violence de ces malheureux croissait en raison directe de leur désespoir. La planète semblait une marée de misérables assiégeant des oasis d'insultante opulence.

« Dans un premier temps, on se persuada qu'il s'agissait d'un problème transitoire, que, la croissance économique et une meilleure répartition de ses fruits aidant, l'on verrait bientôt le bout du tunnel, qu'en attendant de déboucher sur les grasses prairie d'Éden des secours judicieusement distribués parviendraient à contenir les plus nécessiteux ou les plus impatients. La vérité était tout autre : la pauvreté n'était pas un effet secondaire indésirable de la richesse, elle en était le principe actif. Elle n'en était pas la conséquence, mais la fondamentale condition de possibilité. La prospérité de quelques-uns s'enracinait dans la misère du plus grand nombre. Le tunnel était une boucle sans fin.

« Murmurée, à ses débuts, à voix basse et l'air gêné, une opinion acquit petit à petit droit de cité parmi les privilégiés des oasis : il fallait se faire une raison, les richesses toujours plus considérables englouties dans la charité publique ne parviendraient jamais à endiguer la crue de cette violence structurelle. Le seul moyen de se protéger de ces masses furieuses, de mettre un terme définitif à cette dangereuse promiscuité, était de s'en séparer physiquement. Après tout, ce n'étaient que d'irrécupérables improductifs, des parasites coûtant bien plus qu'ils ne rapporteraient jamais. Pourquoi continuer à s'imposer de tels fardeaux ? D'ailleurs, par leurs exactions, ils avaient rompu le contrat social, et délié les honnêtes gens de leurs obligations à leur endroit. Il se trouva des intellectuels pour conférer une apparence d'honorabilité à cette nouvelle forme d'apartheid, qu'ils ornèrent du beau nom de libéralisme, dernier crime commis par le vingtième siècle au nom de la liberté.

« La tentation du développement séparé a de tout temps hanté les civilisations riches. Que ce soit par l'institution de ghettos, de quartiers périphériques, de "villes nouvelles" ou par la fermeture des frontières aux indésirables, les nantis ont toujours souhaité tenir les gueux à distance. Cet idéal, la Grande Peste allait leur fournir l'occasion de le porter à son comble.

« Par les coupes claires qu'il pratiqua dans la population, le fléau dilacéra le tissu communautaire et disloqua les anciennes solidarités au point d'annihiler toute résistance. À de rares exceptions – comme les émeutes de 2011 à Paris – les Imbus n'eurent aucune peine à convaincre les rescapés, sous prétexte de protection bactériologique, de s'enfermer dans les pyramides pour y pratiquer avec dévotion la nouvelle religion : Zéro Contact.
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