Получи случайную криптовалюту за регистрацию!

« Nous étions une bande d'effrontés, de jeunes roués (entre se | Читаю вещи

« Nous étions une bande d'effrontés, de jeunes roués (entre seize et dix-neuf ans) qui mettions notre honneur à tout oser en fait d'indiscipline et d'insolence. Nous n'étions pas élevés à la française, et, du reste, nous Français, nous n'étions qu'une bien faible minorité dans le collège ; à tel point, que la langue en usage entre élèves était l'espagnol. Le ton dominant de l'institution était la dérision de toute sensiblerie et l'exaltation des plus rudes vertus. Bref, c'était un lieu où l'on entendait cent fois par jour, prononcés avec un accent héroïque, ces mots : « Nous autres Américains. »

Ceux qui disaient cela (Santos et les autres) formaient une élite dont tous les élèves exotiques (Orientaux, Persans, Siamois) étaient exclus, une élite dans laquelle, pourtant, nous Français étions admis, d'abord parce que nous étions chez nous, dans notre propre pays, et ensuite parce que, comme nation, historiquement nous valions presque la race au sang bleu, la gent de raison. C'est là un sentiment qui paraît perdu, aujourd'hui, chez nous : on dirait que nous sommes des bâtards qui évitons de parler de nos pères. Ces fils des armateurs de Montevideo, des marchands de guano du Callao, ou des fabricants de chapeaux de l'Équateur, se sentaient, dans toute leur personne et à tous les instants de leur vie, les descendants des Conquistadores. Le respect qu'ils avaient pour le sang espagnol, – même lorsque ce sang était, comme chez la plupart d'entre eux, un peu mélangé de sang indien, – était si grand, que tout orgueil nobiliaire, que tout fanatisme de caste semble mesquin, comparé à ce sentiment-là, à la certitude d'avoir pour ancêtres des paysans de la Castille ou des Asturies. C'était une belle et bonne chose, après tout, que de vivre parmi des gens qui avaient ce respect d'eux-mêmes (et ce n'étaient que de grands enfants). Je suis sûr que le petit nombre d'anciens élèves restés en France se rappellent aujourd'hui avec reconnaissance notre vieux collège, plus cosmopolite qu'une exposition universelle, cet illustre collège Saint-Augustin, maintenant abandonné, fermé depuis quinze ans déjà... »


Valery Larbaud, Fermina Márquez, 1911.