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Jean Baudrillard. Je ne me suis jamais intéressé à l'architect | Читаю вещи

Jean Baudrillard. Je ne me suis jamais intéressé à l'architecture, je n'ai pas de sentiment spécifique à son sujet. Je me suis intéressé à l'espace, oui, et à tout ce qui dans les objets dits « construits » me rend le vertige de l'espace. Ce sont plutôt des édifices tels que Beaubourg, le World Trade Center, Biosphère 2 qui me passionnent, c'est-à-dire des objets singuliers, mais qui ne sont pas exactement pour moi des merveilles architecturales. Ce n'était pas le sens architectural de ces bâtiments qui me captivait, mais le monde qu'ils traduisaient. Si je prends la vérité d'un édifice comme celui des deux tours du World Trade Center, à cet endroit-là l'architecture exprime, signifie, traduit dans une sorte de forme pleine, édifiée, le contexte d'une société où effectivement se dessine déjà une époque hyper-réelle. Ces deux tours ont l'air de deux bandes perforées. Aujourd'hui, on dirait sans doute qu'elles se clonent l'une l'autre, qu'elles sont déjà dans le clonage. Est-ce qu'elles étaient une anticipation de notre temps ? Est-ce que l'architecte est donc non pas dans la réalité, mais dans la fiction d'une société, dans l'illusion anticipatrice ? Ou bien est-ce que l'architecte traduit tout simplement ce qui est déjà là ? C'est pourquoi je t'ai posé la question : « Est-ce qu'il y a une vérité de l'architecture », au sens où il y aurait une destination supra-sensible de l'architecture et de l'espace ?

Jean Nouvel. Avant de répondre à ta question, je voudrais dire que ce dialogue est une occasion exceptionnelle de parler de l'architecture en d'autres termes que ceux dont on use d'habitude. Je considère, tu le sais, que tu es l'intellectuel qui assume sa fonction actuellement. Autrement dit, par rapport à toutes les questions qui dérangent, par rapport à toutes les vraies questions, tu as des assertions, des questionnements qui sont ceux que personne ne veut entendre. Je ne sais pas si je peux arriver, ce soir, à provoquer des assertions dans un domaine que tu prétends ne pas connaître, qui t'intéresse peu, mais je vais essayer. J'ai un peu reparcouru tes livres ces derniers temps, et j'ai eu la satisfaction de constater que tu n'avais jamais autant parlé d'architecture que dans un certain entretien, réalisé il y a maintenant douze ans, entre nous. C'est là où j'ai trouvé le plus de choses qui correspondent à une pensée sur l'architecture, au-delà de tes écrits sur New York ou sur Beaubourg. J'ai noté quelques-unes de tes réflexions sur les monstres que représentent les grands projets et sur certaines prises de position radicales qui sont de nature à nous poser un bon nombre de questions.

Si on essaie de parler d'architecture en tant que limite - et c'est bien ce qui m'intéresse -, c'est en se situant toujours sur cette frange du savoir et du non-savoir. C'est bien celle-là, l'aventure de l'architecte. Et cette aventure, elle se situe dans un monde qui est réel, dans un monde qui implique un consensus. Tu dis, quelque part, que pour qu'il y ait séduction il faut qu'il y ait consensus. Or, le métier de l'architecte est un métier qui, par la force des choses, tourne autour du mode de séduction. L'architecte est dans une situation très particulière, il n'est pas un artiste au sens traditionnel, ce n'est pas quelqu'un qui médite devant sa feuille blanche, ce n'est pas quelqu'un qui travaille devant sa toile, je le compare souvent au réalisateur de cinéma parce que nous avons à peu près les mêmes contraintes, on se met dans une situation où l'on doit produire, dans un temps précis, avec un budget donné et pour des personnes données, un objet. Et l'on travaille avec une équipe. On est dans une situation où l'on va être censuré, de façon directe ou indirecte, au nom de la sécurité, au nom du fric, au nom même d'une censure qui est avouée. On a, dans notre métier, des censeurs professionnels. Un architecte des bâtiments de France, on pourrait l'appeler « censeur des bâtiments de France ». C'est exactement la même chose. On se situe dans un terrain qui est borné, limité.