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« On peut trouver plusieurs raisons, toutes excellentes, pour | Читаю вещи

« On peut trouver plusieurs raisons, toutes excellentes, pour ne pas l’aimer. Curzio Suckert dit Malaparte (1898-1957), ce sacré Toscan comédien et martyr, est le modèle même de l’écrivain de qualité qui paie son talent avec les défauts, voire les vices de l’homme : mythomane, exhibitionniste, avide d’argent et de plaisirs, « caméléon » prêt à servir tous les pouvoirs et à s’en servir à ses fins, sorte de Cagliostro des lettres modernes. Cet ouvrage se propose de réfuter ces clichés, dans la mesure du possible, en montrant la cohérence intime et la modernité de cet interprète prophétique de la décadence de l’Europe face aux nouvelles puissances globales (URSS, Etats-Unis, Chine) et aux idéologies de masse : fascisme, communisme, tiers-mondisme. Ecrivain cosmopolite, à la sensibilité tôt éveillée par les carnages de la Grande Guerre, dont il fit l’expérience comme volontaire en France, un an avant l’entrée en guerre de son pays natal ; conspirateur rentré, aux allures de broussard ; homme politique roué, qui semblait être en délicatesse avec ce régime fasciste qui l’a longtemps comblé d’honneurs et de prébendes ; envoyé spécial sur tous les fronts de guerre, capable de passer des salons aux tranchées, des usines aux longues marches, des bûchers aux bénitiers, de Lénine à Staline, de Mussolini à Mao, des anarchistes au Pape ; militant de toutes les causes et de leur contraire,il a été le précurseur de l’engagement brouillon des intellectuels contre l’ordre bourgeois, pour un public de bourgeois médusés et apeurés.

S’il a choisi à tout moment de s’embourber dans « le sang, la volupté et la mort », chantés par Barrès dans la génération précédente, Malaparte a enjambé tous les courants de son époque sans tremper véritablement dans aucun d’eux. C’est qu’il se souvient toujours d’être intellectuel avant d’être engagé, et que tout passe, lasse et se remplace sauf la mission de témoigner. Aucune profession de foi ne peut ni ne doit endiguer le talent, car aucune cause ne mérite qu’on la prenne trop au sérieux. Cela prouve son ambiguïté, mais également son besoin inassouvi de liberté, l’amplitude de son individualisme, le refus de s’attrouper dans aucun parti, fût-il le plus alléchant. Malaparte se retrouve tout entier dans un tourbillon d’attitudes « ondoyantes et diverses », au milieu des vies et légendes toujours recommencées, où nous allons chercher de le suivre et de dénicher ses faux-semblants.

Cet homme, qui semblait vivre pour la galerie, cherchait le silence pour s’y retrouver. Provocateur-né mais idéologiquement inutilisable, il tenta à plusieurs reprises la seule carrière qui ne lui convenait assurément pas, celle de politicien. C’est sans doute la raison pour laquelle aujourd’hui aucune des familles de droite ou de gauche où il fit des séjours plus ou moins longs ne le reconnaît comme sien et le traite de girouette, de traître, au mieux de joyeux luron. Ces jugements faciles sont à son honneur. Qui a eu trop d’allégeances n’en suscite réellement aucune. A force de vouloir être toujours pour, Malaparte aura finalement réussi à devenir contre ; donc, à devenir nôtre. »


Maurizio Serra, Malaparte, vies et légendes, 2011.