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« Que trois normaliens, de cinquante ans ou un peu plus, consi | Читаю вещи

« Que trois normaliens, de cinquante ans ou un peu plus, considérés dès leur jeunesse comme des têtes de génération, même des crèmes de tête, ayant acquis et formé toutes leurs idées et tous leurs sentiments politiques dans la température de l’affaire Dreyfus, aient succédé en 1924 à de grands avocats, c’était naturel, typique, instructif. En 1898, de la crise dreyfusienne, était né spontanément le système qui consiste à porter, en les temps difficiles, le dossier de la France chez un bon avocat d’affaires, le plus grand avocat d’affaires, alors Waldeck-Rousseau. Après lui Millerand et Poincaré tinrent le rôle, Poincaré, comme Waldeck-Rousseau, en grand citoyen, Millerand en grand commis, brisé dès qu’il se crut autre chose. Pendant un quart de siècle, les illustres avocats d’affaires constituèrent la valeur politique solide, le Suez du grand portefeuille. Autour d’eux, les autres valeurs de Palais : Briand, avocat d’assises dans les procès politiques de l’époque Dreyfus, qui joue du jury comme d’un instrument de musique et des assemblées comme du jury ; et surtout le chef-né du régime, le légiste de province, roublard, balzacien et pratique, qui, avec Grévy, Loubet, Fallières, Doumergue, a fourni la plupart des présidents de la République, les présidents de la République attendus, acceptés, normaux. L’armature de la République est une armature d’avocats. Depuis l’écroulement de la monarchie la France est veuve. Le code Napoléon a fait le Français orphelin (enfant trouvé, disait Renan). Les défenseurs de la veuve et de l’orphelin deviennent naturellement les défenseurs de la cité, ainsi que les évêques à la fin de l’empire romain. L’affaire Dreyfus a posé le professeur en rival, ou en concurrent, de l’avocat. On sait mieux qu’ailleurs, dans le berceau insulaire des Ecrits comment l’affaire Dreyfus fut une insurrection et une victoire d’intellectuels. Quels intellectuels ? Non ceux d’en haut -évidemment : la Ligue de la Patrie française était une ligue d’académiciens, la plupart des écrivains parisiens furent antirévisionnistes, et surtout il y eut ceci. Si l’affaire Dreyfus est devenue dans la vie politique française une coupure analogue à celle de la grande guerre dans la vie politique de l’Europe (elle renouvela notre personnel politique, ce que ne fit pas la grande guerre) c’est qu’elle passa du plan brillant, rapide et passager de Paris au plan profond de la province tenace. A Paris, les révolutions de l’intelligence ne se comptent plus, et politiquement elles ne comptent plus. Elles ne comptent plus depuis qu’une armée de ruraux, en 1871, a écrasé la Commune, et que ; Paris est réduit, dans la vie politique de la France, à un quatre-vingt-troisième d’influence, selon le vœu des Girondins. Dès lors, le bois politique se trouvant éloigné du foyer d’incendie, les révolutions de l’intelligence restent idéologiques et littéraires, se consument en feux de paille. À une époque où la presse était bridée, les journalistes parisiens ont pu faire les révolutions de 1789, de 1830 et de 1848. De 1880 à aujourd’hui, avec une presse absolument libre, l’Intransigeant, la Libre Parole et l’Action Française, le même accident relayé de la topographie parisienne, n’ont fait descendre dans la rue que du papier. Les vraies révolutions sont les révolutions de la province. Et la province a ses révolutions. »

Albert Thibaudet, La République des Professeurs, 1927.