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« … Les plus beaux romans de la vie — disait-il, quand je m’ét | Читаю вещи

« … Les plus beaux romans de la vie — disait-il, quand je m’établis sur mes coussins de canapé, à l’abri des épaules de la comtesse de Damnaglia, — sont des réalités qu’on a touchées du coude, ou même du pied, en passant. Nous en avons tous vu. Le roman est plus commun que l’histoire. Je ne parle pas de ceux-là qui furent des catastrophes éclatantes, des drames joués par l’audace des sentiments les plus exaltés à la majestueuse barbe de l’Opinion ; mais à part ces clameurs très rares, faisant scandale dans une société comme la nôtre, qui était hypocrite hier, et qui n’est plus que lâche aujourd’hui, il n’est personne de nous qui n’ait été témoin de ces faits mystérieux de sentiment ou de passion qui perdent toute une destinée, de ces brisements de cœur qui ne rendent qu’un bruit sourd, comme celui d’un corps tombant dans l’abîme caché d’une oubliette, et par-dessus lequel le monde met ses mille voix ou son silence. On peut dire souvent du roman ce que Molière disait de la vertu : » Où diable va-t-il se nicher ?…« Là où on le croit le moins, on le trouve ! Moi qui vous parle, j’ai vu dans mon enfance… non, vu n’est pas le mot ! J’ai deviné, pressenti, un de ces drames cruels, terribles, qui ne se jouent pas en public, quoique le public en voie les acteurs tous les jours ; une de ces sanglantes comédies, comme disait Pascal, mais représentées à huis clos, derrière une toile de manœuvre, le rideau de la vie privée et de l’intimité. Ce qui sort de ces drames cachés, étouffés, que j’appellerai presque à transpiration rentrée, est plus sinistre, et d’un effet plus poignant sur l’imagination et sur le souvenir, que si le drame tout entier s’était déroulé sous vos yeux. Ce qu’on ne sait pas centuple l’impression de ce qu’on sait. Me trompé-je ? Mais je me figure que l’enfer, vu par un soupirail, devrait être plus effrayant que si, d’un seul et planant regard, on pouvait l’embrasser tout entier. »

Jules Barbey d'Aurevilly, Le dessous de carte d'une partie de whist, 1883.