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« À force de s’instruire et d’acquérir des idées, l’homme fini | Читаю вещи

« À force de s’instruire et d’acquérir des idées, l’homme finit par acquérir l’idée de science, c’est-à-dire l’idée d’un système de connaissance conforme à la réalité des choses et déduit de l’observation. Il cherche donc la science ou le système des corps bruts, le système des corps organisés, le système de l’esprit humain, le système du monde : comment ne chercherait-il pas aussi le système de la société ? Mais, arrivé à ce sommet, il comprend que la vérité ou la science politique est chose tout à fait indépendante de la volonté souveraine, de l’opinion des majorités et des croyances populaires ; que rois, ministres, magistrats et peuples, en tant que volontés, ne sont rien pour la science et ne méritent aucune considération. Il comprend du même coup que si l’homme est né sociable, l’autorité de son père sur lui cesse du jour où sa raison étant formée et son éducation faite, il devient l’associé de son père ; que son véritable chef et son roi est la vérité démontrée ; que la politique est une science, non une finasserie ; et que la fonction de législateur se réduit, en dernière analyse, à la recherche méthodique de la vérité.
Ainsi, dans une société donnée, l’autorité de l’homme sur l’homme est en raison inverse du développement intellectuel auquel cette société est parvenue, et la durée probable de cette autorité peut être calculée sur le désir plus ou moins général d’un gouvernement vrai, c’est-à-dire d’un gouvernement selon la science. Et de même que le droit de la force et le droit de la ruse se restreignent devant la détermination de plus en plus large de la justice, et doivent finir par s’éteindre dans l’égalité ; de même la souveraineté de la volonté cède devant la souveraineté de la raison, et finira par s’anéantir dans un socialisme scientifique. La propriété et la royauté sont en démolition dès le commencement du monde ; comme l’homme cherche la justice dans l’égalité, la société cherche l’ordre dans l’anarchie.
Anarchie, absence de maître, de souverain, telle est la forme de gouvernement dont nous approchons tous les jours, et que l’habitude invétérée de prendre l’homme pour règle et sa volonté pour loi nous fait regarder comme le comble du désordre et l’expression du chaos. On raconte qu’un bourgeois de Paris du XVIIe siècle ayant entendu dire qu’à Venise il n’y avait point de roi, ce bon homme ne pouvait revenir de son étonnement, et pensa mourir de rire à la première nouvelle d’une chose si ridicule. Tel est notre préjugé : tous tant que nous sommes nous voulons un chef ou des chefs ; et je tiens en ce moment une brochure dont l’auteur, zélé communiste, rêve comme un autre Marat de la dictature. Les plus avancés parmi nous sont ceux qui veulent le plus grand nombre possible de souverains, la royauté de la garde nationale est l’objet de leurs vœux les plus ardents. Bientôt sans doute quelqu’un, jaloux de la milice citoyenne, dira : Tout le monde est roi ; mais quand ce quelqu’un-là aura parlé, je dirai, moi : Personne n’est roi ; nous sommes, bon gré mal gré nous, associés. Toute question de politique intérieure doit être vidée d’après les données de la statistique départementale ; toute question de politique extérieure est une affaire de statistique internationale. La science du gouvernement appartient de droit à l’une des sections de l’Académie des sciences, dont le secrétaire perpétuel devient nécessairement premier ministre ; et puisque tout citoyen peut adresser un mémoire à l’Académie, tout citoyen est législateur ; mais, comme l’opinion de personne ne compte qu’autant qu’elle est démontrée, personne ne peut mettre sa volonté à la place de la raison, personne n’est roi. »

Pierre-Joseph Proudhon, Qu'est-ce que la propriété ? ou Recherche sur le principe du Droit et du Gouvernement, 1840.