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« Une première définition de la littérature s’appuie sur deux | Читаю вещи

« Une première définition de la littérature s’appuie sur deux propriétés distinctes. Génériquement, l’art est une « imitation », différente selon le matériau qu’on utilise ; la littérature est imitation par le langage, tout comme la peinture est imitation par l’image. Spécifiquement, ce n’est pas n’importe quelle imitation, car on n’imite pas nécessairement le réel mais aussi bien des êtres et des actions qui n’ont pas existé. La littérature est une fiction : voilà sa première définition structurale.
La formulation de cette définition ne s’est pas faite en un jour, et on s’est servi de termes très variés. On peut supposer que c’est elle qu’a en vue Aristote lorsqu’il constate, premièrement, que la représentation poétique est parallèle à celle qui se fait « par les couleurs et les figures » (Poétique, 1447a) ; et, deuxièmement, que « la poésie traite plutôt du général, la chronique du particulier » (1451b ; cette remarque vise aussi autre chose, en même temps) : les phrases littéraires ne désignent pas les actions particulières, qui sont les seules à pouvoir se produire réellement. A une autre époque, on dira que la littérature s’apparente au mensonge ; Frye a rappelé l’ambiguïté des termes « fable », « fiction », « mythe », qui renvoient aussi bien à la littérature qu’au mensonge. Mais cela n’est pas juste : les phrases qui composent le texte littéraire ne sont pas plus « fausses » qu’elles ne sont « vraies » ; les premiers logiciens modernes (Frege, par exemple) avaient déjà remarqué que le texte littéraire ne se soumet pas à l’épreuve de vérité, qu’il n’est ni vrai ni faux, mais, précisément, fictionnel. Ce qui est devenu un lieu commun aujourd’hui.
Une telle définition est-elle satisfaisante ? On pourrait se demander si l’on n’est pas en train ici de substituer une conséquence de ce qu’est la littérature à sa définition. Rien n’empêche une histoire qui relate un événement réel d’être perçue comme littéraire ; il ne faut pour cela rien changer dans sa composition, mais simplement se dire qu’on ne s’intéresse pas à sa vérité et qu’on la lit « comme » de la littérature. On peut imposer une lecture « littéraire » à n’importe quel texte : la question de la vérité ne se posera pas parce que le texte est littéraire, et non inversement. »

Tzvetan Todorov, La notion de littérature, 1987.